Sélection du ler novembre 1998Page 96 [Suivante] [Retour page 1] Sélection du ler novembre 1998 Une autre page d'histoire... Juin/novembre 1812 campagne de Russie - 18 juin 1815 Waterloo : deux des "2000 dates qui ont fait la France 987 - 1987" (d'après le titre de l'ouvrage Le Grand Livre du Mois, 1988 que l'on trouve sur les rayons de la bibliothèque du Palais Saint-Jean à Lyon pour qui la fréquenterait... :-) C'est dès le début de son exil à Jersey, en septembre 1852 que Victor Hugo commença la rédaction de ses poèmes hostiles à Napoléon III qui avait réussi à se maintenir à la tête de l'Etat "au moyen d'une répression sanglante contre les soulèvements sporadiques, localisés mais non sans intensité, que son action déclench[a]". (L'Histoire n° 124) Ces cruels et décevants événements, la mort accidentelle de sa fille en 1843, et sa découverte de la misère du prolétariat au début du 19e siècle, l'ayant conduit à s'interroger sur les mystères du mal et de l'injustice (qu'il solutionnera par la métempsycose*...) et sur le problème du châtiment des auteurs du mal (qu'il résoudra par "la force des choses"** et par la justice de Dieu***), il relatera les défaites de Napoléon ler dans L'Expiation en fonction de sa philosophie et de son mysticisme et en comparant l'oncle et le neveu qu'il appelait Napoléon le Petit... : "Moscou, la retraite de Russie, Waterloo, ce sont les châtiments terrestres des soldats de la Grande Armée ; le châtiment divin sera pour son chef dont le règne sera discrédité par Louis Napoléon Bonaparte qui s'est appuyé pour prendre le pouvoir sur la gloire de son oncle, le jour anniversaire de la victoire d'Austerlitz" (2/12/1805). (1) En novembre 1853 deux éditions des Châtiments étaient publiées en Belgique ; elles parvinrent en France de façon clandestine, cachées dans des bustes de Napoléon III... Les poèmes furent également récités dans les salons de la bourgeoisie libérale par des voyageurs revenant de Belgique, Londres, Jersey ou Guernesey qui les avaient appris par coeur. (Source : dictionnaire de Victor Hugo - Larousse) Hier, sur La cinquième, on pouvait voir la version filmée du poème émission : Les grands tournants de l'Histoire - 1812, la campagne de Russie. * Chaque âme, après la mort du corps, se réincarne dans un autre corps... ** Nos actes, bons ou mauvais, tous nos actes nous suivent... sur terre le châtiment naît souvent de la faute même... *** Hugo qui peut créer son Dieu à l'image de son génie et de son sens de la justice, lui assigne la tâche sacrée de châtier à long terme ce qui ne n'a pas été à court terme... (1) (1) Les Contemplations Profil Hatier n° 76 L'EXPIATION Il neigeait. On était vaincu par sa conquête. Pour la première fois l'aigle baissait la tête. Sombres jours ! l'empereur revenait lentement, Laissant derrière lui brûler Moscou fumant. Il neigeait. L'âpre hiver fondait en avalanche. Après la plaine blanche une autre plaine blanche. On ne connaissait plus les chefs ni le drapeau. Hier la grande armée, et maintenant troupeau. On ne distinguait plus les ailes ni le centre : Il neigeait. Les blessés s'abritaient dans le ventre Des chevaux morts ; au seuil des bivouacs désolés On voyait des clairons à leur poste gelés Restés debout, en selle et muets, blancs de givre, Collant leur bouche en pierre aux trompettes de cuivre. Boulets, mitraille, obus, mêlés aux flocons blancs, Pleuvaient ; les grenadiers, surpris d'être tremblants, Marchaient pensifs, la glace à leur moustache grise. Il neigeait, il neigeait toujours ! la froide bise Sifflait ; sur le verglas, dans des lieux inconnus, On n'avait pas de pain et l'on allait pieds nus. Ce n'étaient plus des coeurs vivants, des gens de guerre ; C'était un rêve errant dans la brume , un mystère, Une procession d'ombres sous le ciel noir. La solitude vaste, épouvantable à voir, Partout apparaissait, muette vengeresse. Le ciel faisait sans bruit avec la neige épaisse Pour cette immense armée un immense linceul. Et, chacun se sentant mourir, on était seul... II Waterloo ! Waterloo ! Waterloo ! morne plaine ! Comme une onde qui bout dans une urne trop pleine, Dans ton cirque de bois, de coteaux, de vallons, La pâle mort mêlait les sombres bataillons. D'un côté c'est l'Europe et de l'autre la France. Choc sanglant ! des héros Dieu trompait l'espérance ; Tu désertais, victoire, et le sort était las. O Waterloo ! je pleure et je m'arrête, hélas ! Car ces derniers soldats de la dernière guerre Furent grands ; ils avaient vaincu toute la terre, Chassés vingt rois, passé les Alpes et le Rhin, Et leur âme chantait dans les clairons d'airain !... Napoléon les vit s'écouler comme un fleuve ; Hommes, chevaux, tambours, drapeaux ; - et dans l'épreuve, Sentant confusément revenir son remords, Levant les mains au ciel, il dit : - mes soldats morts, Moi vaincu ! mon empire est brisé comme verre. Est-ce le châtiment cette fois, Dieu sévère ? - Alors parmi les cris, les rumeurs, le canon, Il entendit la voix qui lui répondait : non ! VII ... L'horrible vision s'éteignit. - L'empereur, Désespéré, poussa dans l'ombre un cri d'horreur, Baissant les yeux, dressant ses mains épouvantées ; Les Victoires de marbre à la porte sculptées, Fantômes blancs debout hors du sépulcre obscur, Se faisaient du doigt signe et, s'appuyant au mur, Ecoutaient le titan pleurer dans les ténèbres. Et Lui, cria : démon aux visions funèbres, Toi qui me suis partout, que jamais je ne vois, Qui donc es-tu ? - Je suis ton crime, dit la voix. - La tombe alors s'emplit d'une lumière étrange Semblable à la clarté de Dieu quand il se venge ; Pareils aux mots que vit resplendir Balthazar, Deux mots dans l'ombre écrits flamboyaient sur César ; Bonaparte, tremblant comme un enfant sans mère, Leva sa face pâle et lut : - DIX-HUIT-BRUMAIRE ! Jersey, 3 novembre 1852 Châtiments Victor HUGO (1802-1885) [Du même auteur] [Retour au poème de la semaine] - [Pourquoi ce site ?] - [Les archives] [Classement alphabétique des poètes]