Sélection du 15 mars 1999Page 115 [Suivante] [Retour page 1] Retour ["Poète à New York"] Sélection du 15 mars 1999 Théophile Gautier... Quand il voyage "son ambition est d'abord de tenter de comprendre comment les hommes de ces pays qu'il explore envisagent leur existence. Pour ce faire, il se coule du mieux possible dans l'esprit présidant à leurs destinées". (cf. Constantinople...) Quand il décrit -relate Maxime Du Camp- "l'oeil du peintre" a une puissance extrême, cet oeil qui sait où se fixer, qui perçoit simultanément l'ensemble et le détail, la ligne et la couleur, qui emmagasine l'image contemplée et ne l'oublie jamais." Ainsi dans Le Pin des Landes, la vue du paysage aride -que le poète traverse en 1840 pour se rendre en Espagne- éveille l'âme du peintre, et de la description du paysage naît le symbole, ce qui donne au poème son originalité et sa résonance : lorsqu'on les blesse les pins rendent leur résine, les poètes donnent leurs vers les plus précieux... Pas d'effusion lyrique chez ce romantique devenu parnassien par nécessité (pour garder au romantisme sa pureté en le préservant notamment des poussées nouvelles de la vie sociale analyse Albert Cassagne), par "culte de l'Art pour l'Art, c'est-à-dire d'une beauté qui est à elle-même sa propre fin", mais des mots précis, simples, pour exprimer une sensibilité qui veut être discrète, impersonnelle... Enfin un homme de notre temps, car : "... ce n'est pas par étourderie et fougue de jeunesse que le jeune Gautier -qui a moins de 19 ans et qui arbore en cette journée du 25 février 1830 son fameux gilet rouge, "objet de scandale en ces temps d'habits noirs"- se lance dans la bataille : il combat pour ce qui lui tient le plus à coeur, pour la thèse qui lui est la plus chère, celle de l'art intouchable parce que sacré" ; son constat de l'action néfaste de l'homme sur la nature anticipe les mouvements écologistes de 1960 et leur entrée dans la vie politique avec la candidature de René Dumont à l'élection présidentielle de 1974 (de la résine on extrait la térébenthine et la colophane, matières premières de diverses industries chimiques) L'homme avare (avide) bourreau de la création, Qui ne vit qu'aux dépens de ceux qu'il assassine (Retour poème Poète à New York) son goût d'un "art sur l'art"- selon la formule de Michel Crouzet- en évoquant dans sa poésie, peintres et sculpteurs, tableaux, statues, objets précieux, correspond à la conception des cd-rom, à ce qui se pratique actuellement dans les expositions et sur le web ; en qualifiant la poésie de "trésor" et les vers "de divines larmes d'or", Théophile Gautier participe tout autant que Charles Trenet à la semaine "Le printemps des poètes" ayant décidé en 1830 "de ranger palette, couleurs et pinceaux et de choisir l'encre et la plume" ! Sources : Emaux et Camées - Théophile Gautier par Anne Ubersfeld (Stock) Les courants ou tendances littéraires par Charles-Eugène Lessard LE PIN DES LANDES On ne voit, en passant par les Landes désertes Vrai Sahara français, poudré de sable blanc, Surgir de l'herbe sèche et des flaques d'eau vertes D'autre arbre que le pin avec sa plaie au flanc ; Car, pour lui dérober ses larmes de résine, L'homme, avare bourreau de la création, Qui ne vit qu'aux dépens de ceux qu'il assassine, Dans son tronc douloureux ouvre un large sillon. Sans regretter son sang qui coule goutte à goutte, Le pin verse son baume et sa sève qui bout , Et se tient toujours droit sur le bord de la route, Comme un soldat blessé qui veut mourir debout. Le poète est ainsi dans les Landes du monde ; Lorsqu'il est sans blessure, il garde son trésor. Il faut qu'il ait au coeur une entaille profonde Pour épancher ses vers, divines larmes d'or. España, 1845 Théophile Gautier 1811-1872 [Retour au poème de la semaine] - [Pourquoi ce site ?] - [Les archives] [Classement alphabétique des poètes]